Il s’appelait Thierry Mugler, il était l’un des créateurs les plus célèbres de l’hexagone… et il est décédé ce 23 janvier à l’âge de 73 ans. Metteur en scène, couturier, amis des plus grandes célébrités, Thierry Mugler a développé un style unique faisant des femmes de véritables créatures fantastiques. Particulièrement célébré dans les années 80, le créateur a laissé une empreinte indélébile dans le monde de la mode, revendiquant des silhouettes spectaculaires et des défilés aux allures de shows hollywoodiens. Retour sur le parcours d’une star de la mode multi-facettes, qui malgré sa révérence finale n’a pas fini de faire parler d’elle.
Thierry Mugler est un enfant de Strasbourg, né juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Nous sommes alors en 1948, au cœur de l’hiver, lorsque le petit garçon débarque dans ce foyer alsacien. Au cours de son enfance solitaire, le jeune Thierry développe son imaginaire en se réfugiant dans une sorte de monde intérieur alimenté de mille rêveries. C’est bien là l’activité principale de Thierry Mugler au cours de son enfance : rêver. Rêver lors des promenades qu’il mène seul en forêt, rêver de quitter Strasbourg, rêver devant les illustrés qu’il dévore et qui nourrissent ses légendes imaginaires.
Dès l’âge de neuf ans, le petit garçon commence des cours de danse classique. L’expérience est saisissante. La poésie intérieure du jeune Thierry trouve un écho, et à quatorze ans seulement il s’embarque dans une aventure nouvelle : les corps de ballets de l’opéra du Rhin.
C’est la libération. La scène bouleverse l’adolescent, tout comme la magie des jeux de lumière, l’atmosphère du théâtre, la complexité de la mise en scène… et surtout, la beauté des costumes. Cette créativité le marquera à tout jamais.
De la danse classique, Thierry Mugler gardera cet amour de l’expression corporelle et la nécessité d’une grande discipline pour parvenir à ses fins.
Toutefois, le jeune homme délaisse la danse pour suivre des cours à l’école des arts décoratifs de Strasbourg.
C’est à cette période que l’étudiant commence à dénicher des vêtements intrigants aux marchés aux puces avant de les retravailler. Pour la première fois, Thierry Mugler explore ses talents de créateur.
En 1969, cet apprenti styliste n’a que 21 ans et son attraction pour la capitale ne peut plus être contenue. C’est décidé, il s’installera à Paris.
Très vite, Thierry Mugler fréquente le milieu homosexuel, notamment le bar de Saint-Germain-des-Près, le Fiacre. Ses dessins se vendent peu à peu, en particulier du côté du Sentier. Thierry Mugler reste pour autant son meilleur étendard : en portant lui-même ses propres créations, il affiche une allure unique, un style détonnant, composé une fois encore de pièces achetées aux puces puis remaniées par ses soins. Tout l’entourage du créateur se prend d’admiration pour ce style nouveau, ce qui l’encourage dans son désir de devenir styliste.
Ce vœu est exaucé dès 1970 lorsque Thierry Mugler expose ses créations dans sa première boutique parisienne « Gudule », située rue de Buci dans le 6e arrondissement. Désormais styliste free-lance, le jeune homme expérimente et fonde finalement la marque « Café de Paris » en 1973. Il côtoie alors la génération des « jeunes créateurs » comme par exemple Kenzo Takada, Jean Paul Gaultier ou encore Lionel Cros. Tous révolutionnent la mode de l’époque.
Sa signature est immédiatement identifiable : des coupes structurées, une élégance sophistiquée, des épaules exacerbées… Les tailles se font de plus en plus fines, les hanches rebondissent. Toutes les formes du corps féminin sont caricaturées, soulignées, encore et encore, toujours davantage. Les décolletés sont audacieux. Aussitôt, les vêtements signés Thierry Mugler supposent un maintien parfait, un menton haut et un port de tête assumé. C’est bien là la signature de la « superwomen » sensuelle et énigmatique, fière de se montrer femme fatale et affranchie, à la fois très féminine et masculine.
Ces caractéristiques visuelles du créateur sont alors manifestement empruntées aux danseurs classiques et à ses souvenirs de ballets.
Ainsi, la femme « Mugler » devient un véritable objet de fantasmes. Dans la profession et les médias, on parle de « sirène galactique », de « robot cybernétique », et même « d’animal fantastique ». Une esthétique qui trouve son apogée dans les années 1980.
À cette période, Thierry Mugler développe son imaginaire au-delà de la silhouette et s’attaque à un autre champ de créativité : celui du spectacle. Le défilé devient en effet l’occasion de créer des atmosphères uniques. En témoigne la célébration des dix ans de sa marque. Nous sommes alors en 1984 et le créateur imagine une présentation de mode au Zénith, devant plus de 60000 personnes, le tout pensé comme un concert de rock.
Thierry Mugler jubile, dessine le podium, sélectionne tous les accessoires de la mise en scène, choisit la bande-son… le tout dans l’idée de célébrer la démesure. Le résultat est flamboyant.
De quoi donner l’envie au couturier de réitérer une expérience de taille pour le 20ème anniversaire.
Thierry Mugler choisit alors le Cirque d’hiver, où plus de 75 stars et mannequins rendent hommage aux créations de l’artiste. Parmi elles Naomi Campbell, Jerry Hall et même la célèbre actrice des « Oiseaux » d’Hitchcock, Tippi Hedren. Ses événements organisés au Palais de Tokyo ou à l’hôtel Ritz restent également dans les mémoires.
Au cours des années 1990, Thierry Mugler fait évoluer son activité. Il ne s’agit pas seulement d’être styliste. Ses désirs de création, son imaginaire le poussent à concevoir la mode comme un art visuel à part entière, proposant des pièces toujours plus fantasmagoriques et des spectacles de plus en plus forts.
Ainsi, en 2013, Thierry Mugler imagine même des spectacles musicaux à Paris et à Berlin. Ces revues d’un genre nouveau, les «Mugler Follies», font la part belle au transformisme et proposent des créatures de music-hall presque futuristes.
Une façon pour lui de rendre «hommage à toutes les beautés».
À partir de 2002, toutefois, Thierry Mugler s’éloigne du monde de la mode. Après plus de trente ans de création, le styliste quitte le prêt-à-porter de sa propre marque afin de se rapprocher d’autres passions, comme la photographie ou la mise en scène.
Vivant entre Paris et New York, il multiplie les projets et les supports pour exprimer son esthétique si singulière. Toutefois, son amour de la discipline, en particulier corporelle, prend une autre tournure lorsque Thierry Mugler prend de l’âge. On peut alors parler d’une véritable métamorphose, certains allant jusqu’à le considérer comme méconnaissable. Le corps est largement modifié à coup de bodybuilding, le visage subit de nombreuses interventions de chirurgie esthétique.
Un changement radical que le couturier dit vivre comme une renaissance et une réappropriation de son corps, après une longue carrière dans la couture.
À 73 ans seulement, il meurt à son domicile de Vincennes de « mort naturelle », après des années de méditation et de yoga intensif.
Cet hiver, une grande exposition intitulée «Thierry Mugler, Couturissime», lui est actuellement consacrée au Musée des arts décoratifs, jusqu’à fin Avril. Une occasion de célébrer les femmes fatales à talons hauts et aux épaules carrées du couturier, qui prend aujourd’hui une toute autre dimension. Depuis sa disparition, le monde de la mode tout entier multiplie les hommages, célébrant le génie créatif de Thierry Mugler ainsi qu’une personnalité flamboyante.